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mardi 14 septembre 2010

Regard sur la société japonaise à la veille de la journée du respect des aînés

A l’occasion de la journée nationale du respect des personnes âgées le 21 septembre, le Japon dont la population vieillissante décroît depuis 2005 honorera ses aînés dans un climat rendu morose par le scandale des centenaires portés disparus.




Des centaines de super-centenaires manquant à l’appel

Le scandale vit le jour en juillet 2010 lorsque, voulant féliciter l’homme qui avec 111 ans devenait l’homme le plus âgé de la ville, la police de Tokyo découvrit le corps momifié allongé dans son lit du malheureux où il avait rendu l’âme il y a 32 ans. A cette macabre découverte s’ajouta l’étrange absence de la doyenne de la ville constatée le mois suivant où elle devait fêter ses 113 ans. De ces déconvenues est née une campagne d’investigations lancée par les autorités dans les 47 préfectures japonaises dont les résultats allaient mettre en émoi l’opinion publique.

Dans les principales villes du pays on dut constater que des citoyens d’une longévité exceptionnelle n’étaient plus de ce monde depuis des décennies parfois et ce malgré leurs présences dans les registres familiaux gérés par les autorités. Dans la ville de Kobe on constata la disparition d’une femme de 125 ans et celle de nombreux autres centenaires, à Yao celle de 18 super-centenaires âgés de plus de 120 ans dont un de 137 ans, à Osaka où un homme de 149 ans figurait dans la liste des 228 habitants âgés de 120 ans et plus, ou encore Nagoya où les autorités n’ont pu retrouver la trace d’une femme âgée de 106 ans.

Des âges surréalistes qui décontenancent dans un pays très fier de l’espérance de vie de ses citoyens et qui en vient à douter du chiffre officiel de 40 399 annoncé en 2009 par les autorités. Des questions également sur le rôle des familles, des proches et des autorités dans ce qui s’apparente à une preuve du délitement du modèle social japonais où les aînés sont sensés achever leurs vieux jours entourés de l’amour de la famille.

Le laxisme des autorités complice d’une fraude de grande ampleur

La famille de l’homme momifié n’avait pas déclaré sa mort et aurait continué à toucher sa pension de retraite puis la pension de veuvage lié au décès de son épouse six ans plus tôt. Ces révélations ont fait craindre l’existence d’une gigantesque fraude aux pensions de retraites du très coûteux système de retraite japonais. Le ministère de la santé a d’ailleurs lancé une enquête concernant 840 cas suspects de personnes âgées de plus de 85 ans objets de fraudes à la pension. Il s’est avéré que certaines familles ont perçu des sommes s’élevant à plusieurs millions de yens ainsi que des présents offerts par les autorités aux centenaires pour célébrer leur longévité.

Dans une société qui observe un strict respect de la propriété privée les organismes en charge du suivi du bien-être des personnes âgées avouent être dans l’incapacité de visiter de force une personne si jamais sa famille s’y oppose. Le laxisme des autorités sur la mise à jour des registres familiaux dans un pays aussi avancé que le Japon tout comme le versement des pensions de retraite et autres prestations sociales sans contrôle de l’existence des bénéficiaires jouent un rôle évident dans ce phénomène de dissimulation des décès des retraités. De graves manquements au niveau administratif auxquels le gouvernement est décidé à mettre un terme à travers par exemple l’obligation de rencontrer physiquement les personnes de plus de 110 ans.

Au-delà du coût financier d’une fraude de grande ampleur, les Japonais se demandent comment il est possible que des anciens meurent seuls, à l’écart de la société, échappant à la vigilance des familles et des différents organismes en charge leur suivi. D’aucuns se lamentent même sur le devenir du devoir d’assistance des jeunes générations à l’égard des plus anciennes dans le Japon moderne. Des doutes sur l’état de la société japonaise que semble partager le ministre de la santé qui cite lui aussi la distorsion des liens familiaux parmi les causes probables de ces évènements qui ont choqué le pays ces dernières semaines.

Conscience d’un devoir d’assistance aux anciens

Le Japon a une longue tradition de respect des personnes âgées. La vieillesse perçue comme une étape de la vie où l’homme s’affranchit des obligations sociales, est assisté par sa famille et reçoit le respect de la communauté a droit à une journée de commémoration chaque troisième lundi du mois de septembre où l’on célèbre la journée nationale de respect aux aînés. A cette occasion chaque nouveau centenaire reçoit symboliquement une lettre du premier ministre ainsi qu’une coupe en argent.

Dans la tradition japonaise, au sein d’une fratrie, c’est au fils aîné que revient le devoir de prendre soin des parents âgés. Dans une société où les deux-tiers des personnes âgées choisissent de vivre avec leurs enfants, envoyer un parent retraité dans des lieux d’asile spécialisés reste encore un acte mal perçu. Malgré d’importants changements dans l’environnement social de la société japonaise dus au vieillissement accéléré de la population, de nombreux Japonais continuent de croire en ce modèle familial.

Aujourd’hui 3 voire 4 générations vivent sous le même toit même si la tendance est plutôt à l’atomisation de la famille sur le modèle occidental. Mais la tradition persiste et conditionne les citoyens qui se trouvent dans l’obligation morale de prendre en charge les aînés. L’État qui a toujours tenu compte de cette réalité culturelle a du coup peu investi dans des structures favorisant une alternative à la prise en charge familiale. Compte tenu de l’espérance de vie exceptionnelle du pays ces cohabitations multigénérationnelles induisent des conflits de valeurs au sein de la famille et rendent cet exercice parfois périlleux.

Une tradition qui se heurte à la problématique de la prise en charge du troisième âge

Les familles ont encore du mal à se faire à l’idée qu’une assistance professionnelle constitue parfois la meilleure solution pour cette catégorie de la population. Pourtant la prise en charge de personnes atteintes de maladies séniles graves comme l’Alzheimer requiert de réelles compétences dont peu de familles sont pourvues. Malgré la participation de l’État et des assurances, les dépenses de soins de santé des personnes âgées incombent pour beaucoup à la famille. Dans le cas de couples de deux enfants uniques ayant à leur charge 4 parents encore vivants ces dépenses peuvent avoir un caractère prohibitif.

Alors face à l’ampleur des transformations démographiques, l’idée que l’aide familiale ne peut suffire à résoudre durablement les problèmes posés par le vieillissement de la population fait doucement son chemin dans le pays. Ces difficultés rencontrées par les familles dans la gestion de la problématique d’aide aux anciens influent sur la mutation de la structure de la famille japonaise. Un sondage a montré que 50 % des Japonais ne pensaient plus qu’il était du devoir du fils aîné de s’occuper de ses parents même si 63% répondent qu’il est naturel qu’un enfant prenne soin de ses parents âgés.

Cette prise en charge des aînés par les membres d’une famille devient de moins en moins systématique et cela inquiète les autorités qui sont contraintes de trouver des solutions pour pallier à cette absence de solidarité familiale. La posture du gouvernement sur la désintégration de la famille traditionnelle japonaise peut aussi se comprendre au regard des reformes politiques qui devront nécessairement être menées si de plus en en plus de Japonais confiaient à l’État l’entière responsabilité de l’assistance aux citoyens les plus âgés. Face à ces comportements nouveaux l’urgence de solutions alternatives ou complémentaires à la tradition pour la prise en charge du troisième âge se fait sentir.

Un vieillissement rapide qui s’accompagne d’un lent déclin de la population

Parmi les pays industrialisés le Japon est celui qui connait le plus rapide vieillissement de sa population avec une espérance de vie de 79,5 ans pour les hommes, 85 ans pour les femmes et 22,7% de la population âgée de plus de 65 ans. Ce vieillissement fait face à la chute du taux de natalité qui constitue un autre sujet de préoccupation des autorités du pays. Dans certaines villes la moyenne de la population âgée de plus de 65 ans est déjà le double de la moyenne nationale et on n’y compte plus les fermetures d’écoles ou de lignes de bus.

Au sein de la population des centenaires, une nette accélération de leur croissance est constatée depuis 1996 où elle s’élevait à 7 373 pour dépasser les 28 000 aujourd’hui. Au rythme actuel le Japon qui compte actuellement 127 millions d’habitants pourrait voir sa population chuter à 100 millions en 2050 et les projections de l’ONU prévoient 1 million de centenaires au Japon la même année. Ces transformations qui toutefois témoignent de la qualité de vie et du système de santé du pays pourraient avoir des conséquences désastreuses sur son économie avec la diminution de la proportion des actifs et le coût exorbitant du système des retraites pour ne citer que ces deux cas.

La rapide modification du tissu social japonais exige comme réponse le développement tout aussi rapide de structures d’accueil des personnes âgées et d’infrastructures de soins à la hauteur de l’enjeu démographique. Le poids démographique déjà atteint par cette catégorie dans la société japonaise doit amener à repenser son rôle dans la communauté hors du cadre du schéma proposé par la famille traditionnelle où elle est une véritable charge financière pour les jeunes générations et où son épanouissement sera de moins en moins garanti avec l’allongement de l’espérance de vie.

Le « kodokuchi » : la mort seule comme échappatoire aux souffrances physiques et psychiques

Le Japon est le pays ayant le plus fort taux de suicide chez les personnes âgées de tous les pays industrialisés. En 2000 le taux de suicide était de 24 personnes sur 100 000 et ce taux montait à 48 pour 100 000 chez les plus de 90 ans. Parmi les nombreuses causes du suicide chez les personnes âgées il y a l’isolement, l’absence de liens sociaux mais aussi des situations conflictuelles avec les nouvelles générations. Les anciens doivent souvent composer avec l’idéal d’une vie familiale où ils sont entourés et aimés comme le veut la tradition et la réalité des tensions familiales, la vulnérabilité économique et l’absence de soins adaptés.

En 2004 une étude portant sur la maltraitance des personnes âgées a montré que la plupart des mauvais traitements reçus par les victimes provenaient de leurs fils. La forte proportion des fils parmi les auteurs d’actes de maltraitance sur des personnes âgées est due aux difficultés rencontrées par ces derniers pour quitter le domicile parental, se marier et fonder une famille à leur tour. Cependant la majorité des abus déclarés par les victimes étaient psychologiques à 64% et perpétrés par des personnes n’ayant même pas conscience des torts commis. Le mal-être des anciens est donc avant tout moral.

Une santé fragile reste néanmoins la principale source de mal-être et d’isolement chez les personnes âgées. Les autorités sanitaires du pays ont initié une politique de prévention contre de graves maladies comme l’Alzheimer ou le Parkinson qui réduisent considérablement la mobilité des patients et favorisent leur isolement social. Il y a environ 1 million de personnes atteintes de démence sénile au Japon et on estime à 5% la part des personnes de plus de 65 ans ne pouvant quitter leur lit. Le confinement de l’espace social résultant de ces situations critiques conduit aussi à des tendances suicidaires. De plus en plus de Japonais sont victimes du « kodokuchi », la mort seule qui, rien que dans la ville de Tokyo a concerné 2211 personnes de plus de 65 ans en 2008.

Une nouvelle forme de délinquance en plein essor : la délinquance des séniors

En proie à des difficultés économiques et à la solitude, de plus en plus de personnes âgées se livrent à des actes de délinquance mineure comme le vol. Des problèmes liés à cette forme de délinquance sont en forte augmentation. De 1999 à 2008 le nombre d’arrestations de personnes âgées de plus de 65 ans a triplé pour atteindre 48 786 dont le tiers impliquait des récidivistes. Les vols constituaient 68% des motifs d’arrestation et les fraudes pour moins de 2%. Parmi les récidivistes 60% étaient des personnes vivant seules, un chiffre qui interpelle et qui est à rapprocher avec un curieux phénomène poussant des personnes âgées à rechercher la prison où les soins prodigués par l’administration pénitentiaire et la compagnie des codétenus les mettent momentanément à l’abri de l’isolement social.

Dans un pays où le respect dû aux anciens est grand les autorités n’osent poursuivre en justice les personnes âgées et les magasins volés par ces derniers n’osent même pas déclarer ces vols à la police. Une pression psychologique due aussi au fait que des cas de vols de médicaments par des aînés qui ne peuvent s’en offrir sont courants. La faiblesse des revenus et la précarité qui en résulte engendrent des problèmes d’alcoolisme, de suicide et de délinquance jusqu’alors peu connus du pays.

En 2006 sur l’île d’Hokkaido la police a signalé que le nombre de personnes âgées arrêtées était supérieur à celui des adolescents. Un signe de plus de l’aggravation de la situation démographique du pays qui affecte l’économie et précarise de plus en plus la population des retraités. La pénurie de la main d’œuvre est déjà visible dans le secteur des services aux personnes âgées qu’elle affecte durement obligeant l’État japonais à aller à l’encontre de la tradition de fermeture du marché du travail aux étrangers en recourant timidement à l’immigration d’infirmières.

Recours à l’immigration choisie

Le japon constate depuis quelques années une diminution du nombre des infirmières et aides-soignantes travaillant sur son sol. Le nombre de personnes travaillant dans le système de santé est passé de 400 000 en 2006 à 350 000 en 2009. Ce secteur attirant peu les jeunes Japonais, l’État s’est tourné vers l’étranger et a noué des accords avec les pays du Sud-Est asiatique comme l’Indonésie et les Philippines pour tenter de solutionner un problème amené à s’aggraver dans un futur proche. Une immigration très ciblée sur les métiers d’assistance aux personnes âgées et qui se déroule dans un cadre très stricte limité dans le temps.

En Mai 2009, 300 infirmières et aides-soignantes philippines sont arrivées au Japon pour travailler dans les hôpitaux et les résidences pour personnes âgées. Les tâches que doivent réaliser ces infirmières immigrées sont plutôt basiques comme par exemple l’alimentation et la toilette des personnes âgées. Ces dernières ne bénéficient pas du même statut professionnel que les infirmières japonaises et reçoivent par conséquent des rémunérations inférieures à celles de leurs homologues japonaises. Ce recrutement à l’étranger qui présente quelques avantages évidents d’un point de vue économique pour l’État a suscité dans la profession une crainte sur la détérioration de la qualité de service et l’accaparation de ces métiers par ces étrangères au détriment des Japonaises.

Pour répondre aux critiques des associations d’infirmières qui fustigent la méconnaissance de la langue et la culture japonaise par ces travailleurs immigrés le gouvernement a fait de l’apprentissage de la langue japonaise un impératif destiné à faciliter l’intégration dans la société et à ouvrir les voies de la professionnalisation. Les infirmières immigrées ont droit à 6 mois de cours de japonais en dehors des heures de travail et doivent passer un examen de certification qu’elles ne peuvent repasser en cas d’échec. Cet examen de langue réputé très difficile fait d’ailleurs l’objet de nombreuses critiques car au lieu de favoriser l’insertion des travailleurs immigrés il s’avère être en réalité un obstacle de taille au cas où ces derniers voudraient s’établir définitivement dans le pays.

Des métiers aux exigences hors de portée des immigrés

L’immigration doit faire face au souci de l’État japonais de valoriser les métiers d’assistance aux personnes âgées pour les rendre attractifs aux yeux de la jeunesse japonaise qui s’en détourne. Dans les années 90 l’État a encouragé le développement de nouveaux programmes universitaires destinés à élever le niveau de formation des infirmières et à mieux les préparer aux besoins du pays dus au vieillissement de la population. Les formations des infirmières n’étaient désormais plus simplement axées sur la pratique mais accordaient une large part à la théorie avec un cursus universitaire donnant lieux à un examen d’obtention d’une licence d’infirmière.

Pour devenir aide-soignant professionnel ou infirmier certifié au même titre que les Japonais, les travailleurs immigrés doivent passer un examen qui leur ouvre la porte des hôpitaux et des cabinets médicaux avec à la clé des rémunérations conséquentes. C’est d’ailleurs une étape indispensable pour espérer une quelconque progression de leur carrière japonaise. Mais là encore la difficulté est telle que ce rêve là est hors de portée de la quasi totalité de ces travailleurs. En 2009 sur les 570 Indonésiens et 310 Philippins travaillant dans ce secteur, 254 ont osé passer l’examen d’infirmier au Japon et seulement 3 l’ont réussi et acquis le statut de d’infirmier certifié.

Actuellement les infirmières immigrées sont autorisées à travailler un maximum de 3 ans au Japon, une durée qui est de 4 ans pour les aides-soignantes. Elles doivent mettre à profit ce laps de temps pour apprendre la langue et la culture japonaise, s’intégrer dans la société et faire carrière dans la mesure du possible. Les échecs des travailleurs immigrés à réaliser cet idéal de l’immigration japonaise trahissent l’ambiguïté des autorités de ce pays qui d’une part œuvrent pour que les étrangers viennent assister sa population vieillissante, d’autre part s’assurent que ces immigrés ne pourraient définitivement s’installer au Japon. Dans ce pays qui se voit comme ethniquement homogène le recours à une immigration même très limitée et contrôlée n’est pas chose aisée. L’immigration n’est d’ailleurs pas la seule solution envisagée par l’État japonais comme l’attestent son implication dans le financement des programmes de recherche et développement destinés à la robotique pour personnes âgées.

La technologie au secours de la vieillesse

Face à la réalité du vieillissement rapide de la population et du manque de personnels dédiés à l’assistance aux séniors les questions éthiques soulevées par le remplacement d’infirmières par des machines semblent dépassées. Le Japon déjà en pointe dans le domaine de la robotique investit énormément dans la recherche de la conception de robots assistant sa population vieillissante au point que plus de 20 entreprises travaillent actuellement sur des projets de robotique destinés à l’assistance aux personnes âgées.

Le pays semble connaître une véritable effervescence dans ce domaine si on se réfère aux nombre de robots toujours plus sophistiqués qui chaque année voient le jour. Ces solutions visent non seulement à rendre la vie plus simple aux personnes âgées mais aussi aux personnels soignants. Il existe aujourd’hui des robots qui grâce au concept de membre hybride assisté renforcent et coordonnent les membres d’une personne atteinte de la maladie de Parkinson. De même qu’il y a désormais des solutions de renforcement des membres des travailleurs manuels qui augmentent les capacités d’endurance et diminuent la pénibilité de certains travaux. Dans un secteur comme l’agriculture où les deux-tiers des travailleurs ont plus de 65 ans de telles solutions sont une aubaine.

Le délitement de la structure familiale traditionnelle est également pris en compte dans les solutions robotiques envisagées par les scientifiques et ingénieurs japonais. Certaines constituent des alternatives crédibles à la cohabitation multigénérationnelle. Il existe par exemple des solutions reliant en permanence des familles aux lieux de résidences des anciens à travers des systèmes vidéo, des robots capables de se connecter à Internet, de lire des e-mails ou envoyer des alertes aux familles. Certains robots peuvent même alerter la famille en cas de problème comme une chute dans la salle de bain ou transmettre régulièrement des images aux proches des personnes. Un robot conçu par l’entreprise Mitsubishi est avec ses 10 000 mots capable de comprendre un certain nombre de questions et d’y répondre. Il peut aussi en poser sur l’état de santé de la personne assistée et alerter les proches en fonctions des réponses reçues. Quelques entreprises proposent des robots servant d’animaux de compagnie comme remède à l’anxiété et la dépression chez les personnes âgées souffrant de maladies graves ou de solitude.

Des innovations technologiques qui profiteraient aussi à l’économie japonaise

L’effervescence autour des projets de robotique pour séniors est d’autant plus soutenue par les autorités japonaises que ces dernières considèrent le Japon comme l’avant-garde d’un phénomène de vieillissement accéléré de la population auquel devront faire face d’ici quelques décennies l’ensemble des pays industrialisés. Ces innovations technologiques japonaises préparent donc l’avènement d’un marché encore insoupçonné dans la majorité des pays occidentaux où le taux de natalité permet d’envisager des solutions beaucoup moins radicales. Ces produits à fortes valeurs ajoutées seront source de croissance pour les exportations du pays et l’avance technologique acquise pourrait garantir une mainmise sur un marché potentiellement important.

Mais la prise en considération du poids démographique grandissant des séniors n’est pas simplement une option pour des entreprises désireuses d’explorer un marché nouveau, c’est même une question de survie pour un secteur comme l’industrie des jouets qui pâtit de la chute de la natalité au Japon. Le géant mondial des consoles de jeux Nintendo propose par exemple des jeux d’entraînements cérébraux et toute une gamme de jeux qui ne nécessitent plus la dextérité d’un gamin de 8 ans et sont donc accessibles aux séniors. Les fabricants de jouets pour enfants sont contraints de cibler cette population âgée et d’adapter leurs produits qui doivent désormais faire appel à plus de réflexion et donner l’illusion de maintenir la vitalité mentale de ces joueurs d’un autre genre.

L’engouement pour les produits de divertissement pour séniors s’explique en partie par le fait qu’ils sont vendus à des prix attractifs qui ont facilité leur expansion dans le marché. Mais il n’en est pas de même des robots qui bien que de plus en plus dotés de fonctionnalités pratiques restent extrêmement chers et sont hors de portée des familles ou des structures médicales qui voudraient investir dans ce type de produit. Le second obstacle qui ne peut être occulté reste l’affectif. Même si certains robots sont capables de simuler des émotions, converser, distraire ou rendre de réels services aux bénéficiaires, il n’est pas dit que le remplacement des aides-soignantes par des machines sera une solution viable à la pénurie de travailleurs. Le pari de l’innovation technologique dans la lutte contre le déclin de la main-d’œuvre ne sera gagné que si ces innovations s’accompagnent de profonds changements sociaux.

Un modèle social à repenser

Depuis les années 70 les gouvernements japonais successifs ont tenté d’anticiper le problème du vieillissement de la population qui se pose aujourd’hui de manière très aiguë et suscite des inquiétudes sur la situation socio-économique du pays avec l’augmentation du coût des retraites, des dépenses de santé, la diminution de l’épargne et des investissements ou encore la baisse de la main d’œuvre. En 2009, les dépenses de la sécurité sociale se sont élevées à 91,4 milliards de Yen soit 22,1% du PIB. Une réforme de l’assurance santé pour les plus de 75 ans et le passage progressif de l’âge de départ à la retraite de 60 à 65 ans ont déjà été adoptés comme mesures pour diminuer les dépenses de l’État. Mais des sources de financement nouvelles des retraites restent encore à trouver. Un sondage en septembre 2009 a montré que 60% des parlementaires du parti au pouvoir pensent que le gouvernement devrait inclure une augmentation des impôts et réformer drastiquement le système des retraites et la sécurité sociale.

Toutes ces réformes économiques pourront cependant s’avérer encore insuffisantes si le déclin de la population japonaise n’est pas enrayé. Les différentes mesures qui ont jusqu’à présent été prises pour améliorer la natalité du pays sont sans grands effets. L’État encourage par exemple la natalité en offrant 5 000 yens par mois et par enfant jusqu’à l’âge de 3 ans. Actuellement le taux de natalité y est de 1,3 enfant par femme en moyenne contre 2,1 nécessaires pour assurer le renouvellement de la population. Les prévisions les plus sombres prévoient une population de 60 millions d’habitants à la fin de ce siècle au rythme actuel.

Dire que la chute de la natalité est une préoccupation dans la société japonaise est un euphémisme et ce mal japonais dont les aspects les plus visibles comme l’absence des enfants, l’augmentation de l’isolement social ou du nombre de célibataires semblent profondément enracinés dans la société. Certaines municipalités ont même mis en place des services de rencontres pour favoriser les mariages et des entreprises n’hésitent plus à encourager leurs employés à faire des enfants. Cet isolement chez les hommes est en partie dû à un choix de carrière professionnelle privilégiant de longues journées de travail au détriment de la vie de famille. La place de la femme dans cette société-là a manifestement une incidence néfaste sur sa volonté de procréer et devrait être le point de départ d’une réflexion profonde sur le désir de la société japonaise de la voir à nouveau faire les 2,1 enfants nécessaires au renouvellement de la population.

Un déclin démographique qui sonne comme une rébellion de la femme japonaise

Bien que la tradition veule que ce soit le fils aîné qui s’occupe de ses parents âgés, ces tâches d’assistance aux anciens dans la famille tout comme les tâches ménagères sont en réalité dévolues à la femme de ce dernier. Avec le déclin de la population et du nombre d’actifs, de plus en plus d’opportunités sont offertes aux femmes en termes de carrières. La société japonaise attend donc de la femme qu’elle concilie la vie professionnelle, la vie de couple, l’assistance aux personnes âgées et qu’elle réponde au besoin de renouvellement de la population. Il devient tout à fait concevable qu’au foyer certaines femmes aient en charge les enfants, le mari, les parents de ce derniers voire les grands-parents, soit 4 générations. Si on en croit les statistiques sur l’augmentation du célibat et la chute de la natalité, ce mode de vie traditionnel ne constitue plus l’idéal pour beaucoup d’entre elles.

Le besoin d’émancipation et la pression professionnelle détourne aujourd’hui la femme japonaise du mariage et de la maternité. Avoir un enfant revient souvent pour elle à abandonner momentanément sa carrière professionnelle. Elle est d’autant plus contrainte à ce sacrifice qu’il existe peu de crèches et la tradition la pousse à devoir renoncer à son emploi pour élever les enfants. 70% des femmes travaillant dans des petites ou moyennes entreprises japonaises abandonnent leur emploi à la naissance de leur premier enfant. Le déclin de la population peut être envisagé comme sa réponse à elle par rapport au statut qui lui est accordé dans la société. La femme japonaise veut désormais assouvir son désir de faire carrière au même titre que l’homme, respecter tout comme l’homme ces horaires qui rendent difficiles la vie de couple mais favorisent la progression au sein de l’entreprise. Pour celles qui se marient ou font un enfant, cela arrive de plus en plus tard quand la situation professionnelle est consolidée.

Face à la diminution des actifs dans la société le gouvernement japonais envisage une politique migratoire plus sérieuse que celle très timide mise en œuvre dans le domaine de l’assistance aux aînés. Ce recours massif à l’immigration pour maintenir la compétitivité de l’économie japonaise est toutefois conditionné à la résolution préalable du problème de la chute du taux de natalité dans le pays. Cette résolution nécessite de repenser le rôle de la femme japonaise dans l’entreprise et dans la société en générale en accordant une importance particulière à la place que doit y tenir la maternité. Trop d’obstacles se trouvent encore sur le chemin des femmes qui veulent enfanter tout en conservant les bénéfices d’une carrière professionnelle durement conquise. Pour faire déjouer les sombres pronostiques sur le déclin de sa population et de son économie, la société japonaise doit rendre l’épanouissement professionnel des femmes de moins en moins incompatible avec la maternité.

NomeFam



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