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mercredi 29 juin 2011

Dynastocratie en Afrique : cas du ticket Wade-Wade


Après une violente manifestation à Dakar contre son projet de loi de modification de la constitution, le président sénégalais Abdoulaye Wade a été contraint de faire machine arrière en renonçant à son projet controversé




Quand une icône de la démocratie triture la constitution

A l’issue de la photo de famille du sommet du G8 qui s’est tenu à Deauville en mai 2011 une scène assez cocasse, digne des heures peu glorieuses de la « françafrique » allait réunir comme protagonistes le président américain Barack Obama, le président français hôte de ce sommet ainsi qu’une icône (aux yeux des Occidentaux) de la démocratie africaine, Abdoulaye Wade le président sénégalais qui s’est rendu à ce banquet des puissants accompagné de son ministre d'Etat, ministre de la Coopération internationale, des Transports aériens, des Infrastructures et de l'Energie qui n’est autre que Karim Wade son très ambitieux fils.

Dans cette scène le président Sarkozy provoque ostensiblement une rencontre entre Karim Wade et Barack Obama sous l’œil des caméras du monde entier et de Wade père déclenchant une polémique au Sénégal et des spéculations sur ce qui est interprété comme un adoubement de Wade fils. C’est dans ce climat de fortes suspicions de succession dynastique au pouvoir qu’a été adopté au Sénégal le 16 juin 2011 en conseil de ministres un projet de loi visant à modifier la constitution pour permettre dès février 2012 l’élection simultanée d’un président et d’un vice-président. Un ticket à l’américaine donc, et qui de surcroît ne nécessiterait que 25% des suffrages exprimés au premier tour pour s’arroger le pouvoir.

Il va sans dire que les détracteurs d’Abdoulaye Wade qui à 85 ans et au pouvoir depuis 2000 achève ce qui est censé être son deuxième et dernier mandat, n’ont vu dans cet énième projet de modification de la loi fondamentale sénégalaise qu’une de ces manœuvres électoralistes, les « waderies » dont le président a le secret et qui petit à petit préparent l’arrivée au pouvoir à court terme de Karim, lequel dans cette affaire de ticket présidentiel apparaissait comme le « colistier naturel ».

Dans une période de fortes exaspérations sociales illustrées notamment par les violentes manifestations contre les coupures électriques à Dakar, l’opposition sénégalaise galvanisée par les scrupules des députés du parti majoritaire, tout comme la rue sénégalaise et la société civile qui ont pu compter sur le soutien du très populaire chanteur Youssou Ndour, ont dans un même élan démocratique tenu à signifier au président Wade le rejet de ses velléités d’instauration d’une dynastocratie au Sénégal.

Jeudi 23 juin 2011 alors que les députés examinaient le projet de loi, une manifestation d’un millier de personnes aux abords de l’assemblée nationale a dégénéré, donnant lieu à de heurts très violents entre jeunes et forces de l’ordre qui ont répliqué à coup de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc et de canons à eau. Ces émeutes contre un projet présenté au peuple comme « un renfort de la démocratie et de la stabilité » du Sénégal et le risque de chaos qu’elles laissaient entrevoir dans tout le pays ont mis sur le pouvoir une pression telle que le gouvernement a dû annoncer le retrait du projet de loi controversé.

Le ticket Wade-Wade déchiqueté par la rue en colère
 
« Ticket présidentiel » et « Quart bloquant » telles sont les deux idées autour desquelles s’articulait ce projet de modification de la constitution qui allait inaugurer une ère nouvelle de gouvernance sous l’égide d’Abdoulaye Wade grand favori de la prochaine élection présidentielle.
 
Les électeurs sénégalais allaient élire dans le cadre d’un ticket un président et un vice-président pour un mandat de 5 ans. En cas de démission, d’empêchement définitif ou de décès en cours de mandat du président, c’est au vice-président qu’allait revenir la direction de l’Etat. Le président conserverait toutefois le pouvoir de changer comme bon lui semble de vice-président au cours de son mandat. Le dispositif du « Quart bloquant » allait quant à lui permettre dès le premier tour au ticket ayant remporté le quart des voix des électeurs d’être déclaré vainqueur sans qu’il soit nécessaire de recourir à un second tour.
 
Ce projet provoqua l’émoi dans le pays et fut d’autant plus décrié qu’il émanait d’un président accusé depuis de longues années de vouloir céder son fauteuil à son fils. Pour de nombreux observateurs de la vie politique sénégalaise il parut évident que le colistier d’Abdoulaye Wade ne pouvait être que son fils Karim âgé de 42 ans. La réticence du président sénégalais à donner le nom de son colistier contribua à alimenter grandement cette rumeur et ses dénégations furent de peu de secours pour dissiper l’idée que le ticket Wade-Wade allait être celui proposé par le pouvoir.

Des scénarios de démission soudaine d’Abdoulaye Wade peu de temps après sa troisième élection consécutive pour permettre à son vice président de prendre de facto le pouvoir conformément à la nouvelle constitution en cours d’élaboration commençaient à fleurir. Face à l’ampleur des émeutes du 23 juin et craignant sans doute une amplification du phénomène en ces temps où quelques uns de ses homologues confortablement installés ont été balayés par une rue incontrôlable, le président Wade a annoncé renoncer à son projet de modification de la constitution.
 
Même s’il n’est pas dit que le président sénégalais ait pour autant renoncé à son ambition de réformer la constitution à son profit, le peuple en manifestant bruyamment son mécontentement a pris conscience qu’il pouvait s’immiscer dans le jeu trouble de l’élite politique du pays et contrecarrer ses plans de confiscation du pouvoir. Il est à espérer que ce message sera compris de la classe politique sénégalaise et d’autres dirigeants africains où cette dernière décennie on a vu naître le phénomène de successions dynastiques dans des démocraties encore balbutiantes.

Coup de griffe à la tentation dynastocratique en Afrique


 
Si au mépris de la volonté du peuple sénégalais le président Wade parvenait à mettre à profit son aura pour préparer les conditions d’une prise de pouvoir à moyen ou à long terme de son fils Karim, il ne ferait là rien de bien extraordinaire en Afrique où l’on a vu ces dernières années des hommes politiques succéder à leurs pères au pouvoir. Le gabonais Ali Bongo Ondimba, le togolais Faure Gnassimgbé ou encore le congolais Joseph Kabila sont ceux qui actuellement incarnent cette tendance dynastocratique nouvelle.

Dans ces trois cas c’est bien la mort au trône de l’autocrate qui a précipité l’arrivée au pouvoir du rejeton. Il ne s’agit cependant pas d’une de ces prises de pouvoir par coup d’état dont l’Afrique est coutumière mais de la mise au pouvoir par un clan d’un individu chez qui il trouve une légitimité naturelle à gouverner le pays et à ainsi pérenniser l’œuvre d’un homme qui a servi les intérêts du clan. Une légitimité par la suite validée par le suffrage des électeurs au travers des élections dont on ne peut louer la transparence, systématiquement contestées et contestables en bien de points, mais qui ont le mérite d’ancrer le pays dans un mode de gouvernance démocratique.

D’aucuns prévoyaient un avenir semblable à Gamal Moubarak si le printemps arabe n’était venu balayer son père du pouvoir. On pourrait en dire tout autant de Seif Al Islam en Libye aujourd’hui poursuivi pour crimes contre l’humanité par la CPI. On peut estimer que dans une bien moindre mesure la rue sénégalaise vient de contraindre le président Wade à épargner à la démocratie sénégalaise pour un temps ce mode de transmission de pouvoir assez tentant lorsqu’on ne peut accepter que le pouvoir échappe au clan. Allant très vite en besogne l’opposition sénégalaise parle même de « printemps africain » pour qualifier ces manifestations en lesquelles elle voit le prélude du débarquement souhaité de Wade du pouvoir.

L’Afrique encore en quête d’un modèle d’implémentation d’une démocratie viable

Après avoir connu de longs régimes autoritaires au lendemain de leurs décolonisations, de nombreux Etats africains ont dû accepter le multipartisme dans les années 90 et modifier leurs constitutions en conséquence pour se conformer au modèle occidental de conception de la démocratie. L’implémentation de ce modèle se heurte à la réalité tribale et ethnique des sociétés africaines. Le jeu démocratique ne pouvant véritablement fonctionner comme dans les pays Occidentaux, l’Afrique se cherche encore un mode de gouvernance qui corresponde à ses sociétés et qui lui garantisse stabilité, paix et prospérité.

Les incessantes modifications des constitutions devenues monnaie courante à la veille des élections sont révélatrices d’une faiblesse institutionnelle dont profitent les classes dirigeantes pour se maintenir au pouvoir et refuser l’alternance propre au jeu démocratique. Même dans des pays où il existe un soupçon de tradition démocratique malgré la jeunesse des nations africaines, les scènes de violences post électorales qui accompagnent une écrasante majorité des élections à la présidence montrent à quel point le chemin est encore long avant que les sociétés africaines se trouvent un mode de gouvernance satisfaisant. Le Kenya, le Zimbabwe ou plus récemment la Côte Ivoire et le Nigeria sont autant d’illustrations de ce problème encore insoluble.

Face à une telle incapacité à se doter d’institutions crédibles il n’est pas surprenant que les Etats africains à travers l’Union Africaine peinent à faire entendre leur voix dans le concert des nations et surtout en ce qui concerne des conflits qui impliquent des intérêts des puissances occidentales comme en Libye. Cette crédibilité des nations africaines sur le plan mondial passe pourtant par un renforcement de leurs institutions démocratiques sans quoi leurs droits et leurs souverainetés continueront d’être régulièrement bafoués par les néo-impérialistes.

Le prédécesseur de l’actuel chef d’Etat sénégalais Abdou Diouf a été loué pour la sagesse de sa transmission pacifique du pouvoir et il peut se targuer d’être de ceux qui ont osé le faire en Afrique. Il est à espérer qu’en vrai démocrate Abdoulaye Wade préservera le Sénégal des tourments d’une transition chaotique voire sanglante du pouvoir et on peut même rêver qu’il laisse à son successeur un pays aux institutions plus robustes, à la voix audible et crédible. 
 
NomeFam

jeudi 21 avril 2011

L’illusion de la quête de la vérité en ces temps de guerres


Comme le démontre le traitement médiatique des guerres civiles en Libye et en Côte d’Ivoire envisager connaître la vérité sur la réalité d’un conflit est une entreprise à l’échec presque certain.
 
Petits arrangements ordinaires avec la vérité

Dans son journal de 20h du lundi 18 avril 2011(minute 13 :00) la présentatrice vedette de TF1 Laurence Ferrrari affirmait au détour du lancement d’un sujet sur le conflit en Libye que l’aviation du colonel Kadhafi bombardait les populations civiles à Misrata, la troisième ville la plus peuplée du pays où les insurgés affrontent les forces loyalistes depuis de longues semaines déjà. Pour peu qu’on rapproche ces informations aux déclarations de l’OTAN sur les pertes infligées à l’armée du dictateur, on trouverait aux affirmations de la dame Ferrari des allures de mensonge éhonté. Car même en accueillant avec une extrême méfiance les propos de l’OTAN il s’avère peu probable à cette période de l’intervention occidentale en Libye que les avions de Kadhafi puissent continuer de survoler impunément le ciel libyen pour massacrer les populations civiles.

Ce n’est hélas qu’une approximation de plus discréditant toujours plus les médias de référence en ces temps où la guerre civile en Côte d’Ivoire et celle encore en vigueur en Libye offre un spectacle décourageant pour quiconque désire comprendre les tenants et aboutissants de ces conflits en tirant profit de la pluralité des informations disponibles à ce sujet. La quête de la vérité s’apparente même à un chemin semé d’embûches, de leurres où ceux-là même qui sont tenus d’informer le public en portant à sa connaissance les éléments permettant de comprendre une situation complexe, ne font que se livrer à de petits arrangements avec la vérité au gré des intérêts du pouvoir.

Des procédés éculés d’une redoutable efficacité

Face à ce qui peut être considéré comme de grossières opérations de manipulation de l’opinion publique, il n’est toutefois pas permis de crier à l’imposture car ces méthodes, pratiquement les mêmes à l’occasion de chaque conflit armé où le pouvoir est engagé comme c’est le cas pour la France en Libye et en Côte d’Ivoire, sont si bien connues et constamment dénoncées qu’il est étonnant qu’elles soient toujours d’une effroyable efficacité.

De ces manipulations-là l’opinion publique semble même en être friande car la vérité dénaturée, simplifiée à l’extrême et présentée au peuple comme une série d’évidences lui paraît toujours préférable sous cette forme car elle flatte son intelligence. La profusion de nouvelles technologies et donc de sources variées au service de l’information n’aide en rien à diminuer la crédulité des citoyens au contraire, plus grossière sera une manipulation d’un media dominant plus elle s’avèrera redoutable à un point qu’il semble vain et illusoire de s’entêter à vouloir connaître la vérité en temps de guerre. Le citoyen n’a donc d’autre choix que de se résigner et de contempler la machine implacable faire inexorablement son œuvre.

Le scénario de l’imminence d’un effroyable péril

Tel est le scénario livré aux citoyens crédules que nous sommes chaque fois que le pouvoir veut faire avaliser une décision qu’il sait contraire au droit et aux valeurs qu’hypocritement il prétend incarner. Le déclenchement de la campagne de bombardements de la Libye sous l’impulsion du président Sarkozy et celui toujours obscur de la résidence de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire ou encore l’envoi officiel de commandos en appui des insurgés libyens sont autant de versions de ce scénario maintes fois répété, prévisible mais imparable.

Au moment où les forces armées françaises bombardèrent les premières l’armée libyenne pour selon les autorités se conformer à la résolution 1973 de l’ONU adoptée précipitamment la veille et enjoignant les puissances occidentales à protéger par tous les moyens nécessaires les populations civiles, un remarquable travail consistant à présenter comme une évidence l’imminence d’un terrible massacre des populations de Benghazi avait déjà préparé l’opinion publique à accepter cette entrée en guerre de la France. Le travail avait été si bien fait que nombreux sont ceux qui y ont même trouvé le motif de fierté d’une grandeur retrouvée de la patrie des droits de l’homme sous la houlette de son dirigeant à la côte de popularité chancelante.

La dramatique situation en Côte d’Ivoire fut de nouveau l’occasion pour la classe politico-médiatique de montrer à quel point elle excellait dans cet exercice particulier consistant à convaincre de l’imminence du péril. Laurent Gbagbo que les mêmes médias présentaient comme acculé dans son bunker avec une poignée d’irréductibles au point que la presse quotidienne française c’était même hasardé à annoncer sa chute, est du jour au lendemain passé de la reddition certaine à une offensive impitoyable.

L’on annonça alors l’avancée inexorable de ses troupes aidées d’une artillerie lourde dont étaient dépourvues les forces pro-Ouattara. On titra sur les premières frappes de l’hôtel du golf, siège du président reconnu par la communauté internationale et de son gouvernement malgré la protection de l’ONUCI dont bénéficiaient ces derniers. Depuis son bunker donc, le stratège Gbagbo conduisait ses troupes vers son ennemi dont la débâcle était devenue inéluctable. Devant l’imminence de ce péril-là aussi une résolution de l’ONU précipitamment adoptée fit encore l’affaire et justifia le bombardement de la résidence de Gbagbo par les forces armées françaises. L’opinion publique fut soulagée d’apprendre que les populations civiles étaient enfin protégées grâce à la courageuse décision de ses autorités et contrairement à ce que pouvaient laisser entendre les évènements de Doukoué.

Mirasta n’y échappe pas non plus

Le citoyen crédule a beau identifier ces enchaînements soudains d’informations inquiétantes annonçant l’imminence d’un péril, il a beau savoir qu’il vit dans un système politique où le pouvoir lui appartient en théorie, c’est quotidiennement qu’il constate qu’il n’a aucune prise sur les décisions prises par le pouvoir en son nom. Il sait d’ailleurs que les intérêts liant le pouvoir aux medias sont tels que l’information qui lui est livrée en temps de guerre n’est là que pour le préparer à accepter des décisions radicales du pouvoir. S’il n’est pas d’accord, qu’importe, un bon sondage achèvera de le convaincre du caractère marginal de ses convictions.

C’est cette implacable logique que semblent suivre les autorités lorsqu’elles décident de l’envoi des groupes d’officiers de liaison pour « conseiller » les insurgés libyens en apparente violation de la résolution de l’ONU devenue insuffisante pour renverser le dictateur. Là encore cette décision a été précédée d’un minutieux travail de préparation de l’opinion publique par les médias de référence. L’agonie soudaine et devenue insupportable de Misrata focalisa toute l’attention médiatique. Il y a pourtant longtemps que la population de cette ville résiste courageusement aux assauts des forces loyalistes et ses martyrs montrant même ce qui se serait probablement passé à Benghazi. Il est certes juste de s’indigner des morts toujours inutiles d’une guerre mais la dramatisation excessive à laquelle se livraient les médias n’avait non pas pour but de montrer à quel point la paix est toujours préférable à la guerre et ses atrocités, mais de justifier l’enlisement du conflit et de préparer l’opinion à accepter la nouvelle stratégie du pouvoir : l’envoi de troupes. Face à ce déluge d’informations contradictoires, parvenir en ces temps de guerre à distinguer dans les medias ce qui relève de la propagande de ce qui relève de l’information véritable dans l’optique de connaître la vérité s’avère être une douce utopie. 

L’inéluctable rôle d’agent de la propagande

Dans les récits faits de ces conflits, il n’est pas surprenant que le terme propagande soit régulièrement employé par les journalistes et exclusivement réservé aux adversaires du pouvoir dont ils discréditent les informations. Il est à regretter cependant que l’habileté que ces professionnels de l’information mettent à démanteler la rhétorique des adversaires du pouvoir et à susciter l’extrême méfiance de l’opinion à leur égard disparaisse soudainement lorsqu’il s’agit d’étayer les thèses du pouvoir afin qu’elles gagnent l’adhésion de l’opinion. Les medias font par ce biais la preuve qu’il leur est extrêmement difficile de jouer un rôle autre que celui d’agent-double de la propagande : celle qu’ils dénoncent chez les adversaires du pouvoir et celle issue du pouvoir qu’ils promeuvent allégrement sans jamais la mentionner.

Dans le cas de la guerre en Libye par exemple, la capacité à mettre en doute les marqueurs temporels des vidéos de Kadhafi, la véracité des images que diffuse le pouvoir libyen tout comme la remise en cause systématique de la réalité des chiffres annoncés sur le nombre de victimes des bombardements alliés contraste avec l’absence de réserve concernant les informations diffusées fournies par les rebelles, par l’OTAN ou les autorités françaises. Tout ce travail bien que partial serait à saluer si au même moment ces mêmes medias ne s’évertuaient pas à entretenir constamment l’impression qu’ils sont au détriment de l’opinion publique une pièce essentielle de la stratégie de communication du pouvoir et ses alliés dans la guerre de l’information qu’il livre à ses adversaires.

Le journaliste, un allié peu fiable dans la quête de la vérité

Il est pour cette raison inconcevable d’attendre des journalistes une quelconque équité dans le traitement des informations concernant les protagonistes de ces conflits et attendre d’eux qu’ils confrontent systématiquement les différentes versions d’un fait majeur est illusoire. Il faut reconnaître que ces exigences sont beaucoup trop élevées pour une profession qui doit livrer « l’information qui convient » à l’opinion tout en ménageant ses sources de financement dont le pouvoir. Il est toutefois navrant de voir que les journalistes prennent systématiquement le parti du discrédit méticuleux de leur profession en se livrant à ces acrobaties qui consistent à taire les manipulations de l’opinion par le pouvoir et à rendre extrêmement floue la frontière entre ce qui relève de l’analyse d’une problématique et ce qui n’est qu’une vulgaire propagande au service des puissants.

Accepter de s’informer auprès des medias de référence revient à se livrer à l’acquisition de kits de « prêt à penser » à l’usage de tous ceux qui veulent s’exonérer de toute réflexion critique. Des kits tout aussi indispensables à celui qui prétend vouloir connaître la vérité sur les tragiques évènements dont le monde entier est témoin. Dans cette quête de la vérité le journaliste est un allié d’autant peu fiable qu’il aime à être parfois « embarqué », sur le champ de bataille avec l’un des belligérants, dans les coulisses du pouvoir pour y recueillir les meilleures confidences et autres indiscrétions qui donnent de la crédibilité à son propos.

La multiplication ces dernières années des sources d’information aurait pu paraître comme un gage de succès dans la recherche de la vérité. Malheureusement le rôle joué par les chaînes d’information en continue et les agrégateurs des sites d’actualité, loin d’offrir une réelle diversité des sources et des points de vue, agissent de manière encore plus pernicieuse en amplifiant les messages des medias de référence alimentés eux par les agences de presse officielles. Il s’en trouve que le message est martelé à l’infini jusqu’à satiété et jusqu’à ce qu’il soit nécessaire au citoyen de fournir des efforts considérables pour douter d’une information unanimement présentée comme une vérité. Ces médias créent ainsi l’illusion d’une pluralité d’opinions concordantes qui égarent plus que n’informent.

L’interprétabilité des résolutions onusiennes rend la vérité tout aussi confuse

Il y a pourtant dans les médias une présence massive d’intellectuels et d’experts censés avoir analysé et digéré la complexité des problèmes sous-jacents aux conflits pour livrer aux opinions des avis éclairés lui permettant de comprendre la situation, de s’approcher de la vérité et de se forger des convictions. Cette présence est d’autant plus nécessaire que lorsqu’une situation échappe à l’entendement le besoin d’arguments qui font autorité se fait sentir et en cela l’intellectuel, l’expert est un allié du journaliste. Or on constate que ces experts mettent un point d’honneur à ne rien dire qui aille à l’encontre de la politique éditoriale du media qui régulièrement leur offrent des tribunes pour s’exprimer et à atteindre les masses. Lorsque la manipulation devient trop évidente l’expert se borne à sanctifier ce qui peut être assimilé à un prêche journalistique au lieu d’apporter la contradiction.

En Libye comme en Côte d’Ivoire la vérité devra un jour parvenir aux peuples sous des formes assez intelligibles pour rendre possible la réconciliation. Une institution entièrement vouée au maintien de la paix entre les peuples aurait pu être l’allié le plus fiable pour faciliter ces réconciliations. Or le rôle joué par l’ONU dans ces conflits notamment ses accommodements avec les diktats des puissances occidentales sont tels qu’elle ne peut plus y paraître comme un juge impartial. Au contraire l’ONU semble même parfois haïr son rôle de garant de la paix dans le monde pour lui préférer celui d’instrument de la domination des puissances occidentales sur le reste du monde. Les termes des résolutions qu’elle émet sont systématiquement si obscurs qu’elles se conforment à toutes les interprétations que peuvent en faire les chancelleries occidentales. Cette mascarade ne sert ni la paix, ni la vérité et encore moins la confiance que les peuples doivent avoir en cette vénérable institution.

Le désir de savoir, de comprendre en s’informant ne pouvant être refréné, vouloir connaître la vérité sur la réalité d’un conflit armé est une entreprise comparable à la reconstitution d’un puzzle dont on est sûr de ne disposer que d’un minimum de pièces. La quête de la vérité n’est alors que l’art de s’accommoder des mensonges provenant des différents acteurs des conflits.

NomeFam


vendredi 25 février 2011

Les errements de la microfinance en Inde




Autrefois présentée comme un moyen efficace de lutte contre la pauvreté dans les pays en voie de développement, la microfinance connaît en Inde une crise liée à ses pratiques abusives


Le scandale des suicides de détentrices de microcrédits

Accusée par les autorités de l’Etat indien d’Andhra Pradesh d’être la cause en 2010 de dizaines de suicides de femmes s’étant trouvées dans l’incapacité de rembourser leurs emprunts, la microfinance a fait l’objet d’une intense campagne de critiques de la part des médias et de la classe politique. Des critiques qui ont donné lieu à une loi de régulation très contestée qui menace aujourd’hui son activité dans cette région de l’Inde.

La microfinance indienne est par sa taille la plus importante au monde. Bien qu’il ne soit pas aisé d’établir les liens directs entre les suicides de cette clientèle très pauvre et les microcrédits, la pression particulièrement harassante et humiliante exercée par les compagnies de microcrédits pour obtenir des taux de remboursement très élevés a jeté le discrédit sur l’ensemble de la profession. Le côté sensationnaliste de ces drames attribués à une activité jadis montrée en exemple, les troublantes similitudes avec la crise des Subprimes aux Etats-Unis, les profits faramineux de ces mêmes compagnies et l’absence totale de règles régissant ses activités sont autant d’éléments qui ont indigné l’opinion publique et aggravé une crise qui couvait depuis quelques années déjà.

La profession voit d’un mauvais œil toute intervention de l’Etat qui compromettrait son existence sous sa forme actuelle et se trouve pour faire taire les critiques dans l’obligation de s’inventer un modèle économique qui exigerait qu’elle agisse avec une plus grande éthique et  de façon plus responsable envers sa clientèle singulière. Elle qui n’a eu de cesse de s’éloigner de sa vocation première qui est d’aider les plus pauvres à sortir de la pauvreté en leur offrant à eux qui sont exclus du système bancaire classique des services financiers adaptés, doit convaincre le gouvernement central de l’Inde qu’il n’est pas nécessaire de la réformer.


Une idée qui a séduit et fut jadis couronné d’un Nobel



En 2000 les Nations Unies se sont donné un objectif ambitieux de réduire de moitié à l’horizon de 2015 le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté dans le monde.
La microfinance parut être la panacée pour lutter efficacement contre la pauvreté en intégrant dans les systèmes économiques locaux des populations très pauvres qui allaient pouvoir subvenir à leurs besoins en se lançant dans de petites affaires ou allaient même créer des emplois et générer des revenus. 2005 a même été déclarée année du microcrédit par les Nations Unies, ce qui a contribué à favoriser l’essor de la microfinance qui a su attirer de nombreux donateurs et investisseurs qui massivement ont soutenu les organismes de microcrédits qu’ils soient ou non à but lucratif.

La microfinance connut la consécration en 2006 avec l’attribution du prix Nobel de la paix à Muhammad Yunus pour ses travaux au Bengladesh. Dans le but justement d’aider les plus pauvres à sortir de la pauvreté en stimulant leur esprit d’entreprise, la microfinance propose des petits prêts ou microcrédits, souvent aux femmes des zones rurales éprouvant des difficultés à obtenir des fonds. Muhammad Yunus ancien professeur d’économie a fondé la Grameen Bank en 1976 pour proposer des services bancaires aux pauvres jusqu’alors exclus du système bancaire. 97% des emprunteurs de cette banque sont des femmes, son principe consiste à accorder des microcrédits à des groupes de femmes et de s’appuyer sur ces groupes pour faire pression sur chaque membre afin d’obtenir les remboursements.

Pour avoir à son tour implémenté avec ses travers ce principe lors de la dernière décennie, la microfinance indienne se trouve aujourd’hui dans la tourmente. Elle est apparue comme un nouveau moyen pour des investisseurs de faire du profit tout en faisant acte de philanthropie à  travers la lutte contre la pauvreté, et pour des entreprises le moyen d’obtenir des rentabilités parfois meilleures que le secteur bancaire traditionnel.


L’Inde, gigantesque marché pour les services de la microfinance



Dans un pays où trois-quarts de la population vit avec moins de 2$ par jour, la microfinance a suscité beaucoup d’espoir. En 2009 le secteur totalisait 70 milliards de dollars de prêts au niveau mondial, l’Inde et le Bengladesh comptant pour moitié dans ce montant. La microfinance en Inde a été très populaire et a connu une très forte croissance ces dernières années dépassant récemment le nombre de 29 millions de prêts accordés au point de peser aujourd’hui 4 milliards de dollars.

Des organismes caritatifs à leurs débuts se sont aperçus du caractère très lucratif de cette activité et se sont mués en entreprises réalisant de forts profits. Grâce à leurs rentabilités et leurs taux de recouvrement élevés ces organismes sont devenus des intermédiaires entre les banques traditionnelles et les pauvres à qui elles rechignent à prêter directement de l’argent.  Les banques et d’autres institutions financières ont alors pu avoir accès à ce gigantesque marché que constituent les pauvres en Inde par le biais des microcrédits.

Parce qu’elles s’adressaient aux plus pauvres, ces entreprises ont pu être montrées en exemple et bénéficier de l’image de sociétés combinant à la fois souci de la réussite économique et souci de la réussite sociale de ses clients. En réalité de pauvres paysannes souvent sans instruction et n’ayant jamais eu de revenus réguliers se sont vues octroyer de nombreux prêts par des organismes peu regardants sur leurs capacités de remboursement. Etranglées par toutes ces dettes elles s’en sont remises à des solutions désespérées qui ont défrayées la chronique dans les médias.


Les dérives d’un secteur qui a su tirer profit de son essor rapide et de l’absence de règles


Aux premiers rangs des griefs à l’encontre de la microfinance il y a les taux d’intérêts exorbitants des microcrédits vendus, les pratiques de recouvrement des emprunts impliquant parfois la violence avec recours à des hommes de mains pour effrayer les clients, les conditions douteuses voire irresponsables d’octroie de crédits à des personnes ne pouvant rembourser et les profits jugés immoraux réalisés grâce à ces pauvres femmes qui ne peuvent se sortir de son emprise.


Le discrédit jeté sur la profession est tel que dans son propre pays Muhammad Yunus a été accusé par le premier ministre de « sucer le sang du peuple au nom de la lutte contre la pauvreté ». Ces allégations réfutées par ce dernier l’ont poussé à dénoncer les pratiques abusives de la profession qu’il accuse d’avoir perverti son concept d’aide aux pauvres. Bien qu’il déclare ne pas être contre la réalisation des profits dans cette activité, Muhammad Yunus reproche aux compagnies de microcrédits d’être obnubilées par la rentabilité et de privilégier les intérêts de leurs investisseurs au détriment des pauvres qu’elles doivent servir.

La crise actuelle a été précipitée par des défauts de paiement massifs de sa clientèle conjugués aux refus des banques qui financent à hauteur de 80%  les organismes de microfinance de leur prêter de nouveau de l’argent. Craignant de ne pouvoir récupérer les quelques 4 milliards de dollars investis dans le secteur, elles n’ont fait  qu’aggraver le problème en fermant le robinet de crédits vital pour la microfinance. A la lumière de ces faits, il semble que la focalisation sur la recherche du profit à tout prix, l’absence de mécanisme de régulation de ce secteur qui a connu une croissance fulgurante, la méconnaissance des emprunteurs liée au turnover permanent au même titre que le surendettement sont autant d’éléments qui annonçaient une chute prochaine.


Les populations les plus fragiles  au cœur d’une  bataille idéologique entre deux visions de la lutte contre la pauvreté

                                     

Bien avant que le modèle de microcrédits de Mohammad Yunus se développe en Inde le gouvernement indien soutenait déjà un autre modèle d’offre de services financiers aux plus pauvres. Dans ce système, des groupes de 10 à 15 femmes se formaient pour ouvrir un compte bancaire qu’elles n’auraient pu ouvrir individuellement et à travers lequel elles épargnaient jusqu’à ce que cet épargne atteigne un montant leur permettant d’avoir droit à un emprunt : ce système est appelé le Self-Help Group (SHG). Ce modèle était financé par différentes banques de l’Etat.  Le modèle des SHG avait également un volet social car les activités de ces groupes de femmes ne se limitent pas à l’épargne et aux emprunts. Elles sont également encouragées à travailler ensemble pour d’autres causes dans leurs communautés et ainsi contribuer à développer un tissu social où elles joueraient un rôle majeur via la microfinance. 

Les entreprises privées implémentant le modèle de Mohammad Yunus en Inde s’appuient sur les réseaux de SHG et semblent mieux en tirer profit que les entreprises publiques. Ces nouvelles arrivantes sont accusées de siphonner la clientèle des SHG à laquelle elles proposent des microcrédits plus faciles à obtenir et immédiatement accessibles. Utilisant les membres des SHG comme garants pour ces emprunts individuels, elles profitent de la structure de ces groupes pour, en cas de difficultés de remboursement, contraindre chaque femme à honorer ses dettes quitte à emprunter de nouveau pour le faire.  La réussite insolente des compagnies privées beaucoup plus réactives et proposant des services plus attractifs quand bien même elles appliquent des tarifs très élevés a attiré des invectives de la part du secteur public.

La bataille entre le secteur public et le secteur privé pour le marché des services financiers aux pauvres  n’est pas seulement économique. Elle est également idéologique car deux logiques s’opposent : celle qui voudrait que le travail collectif d’un groupe et la solidarité en son sein œuvrent pour que le groupe élève son niveau social, une autre qui voudrait que le groupe soit garant des capacités de remboursement de chaque membre cherchant à élever individuellement son niveau social par l’emprunt. On y retrouve en fin de compte les relents d’une opposition entre le socialisme et le libéralisme.


Andhra Pradesh précurseur d’une régulation du système



Réagissant à une vague de suicides ayant beaucoup émue l’opinion publique et sa classe politique, le gouvernement de l’Etat d’Andhra Pradesh qui concentre la moitié des micro- emprunteurs indiens, a émis une loi le 15 octobre 2010 destinée à protéger les femmes exploitées par les pratiques abusives des compagnies privées. Cette loi a vu le jour dans un climat délétère entre ce gouvernement local et les officines de microcrédits qu’il accuse d’extorquer les pauvres et auxquelles il avait déjà imposé des mesures de fermetures temporaires pour 50 d’entre elles au mois de mars 2010. Conscients de la situation tragique de cet électorat les politiciens ont encouragé les emprunteurs à cesser tout remboursement faisant passer en quelques semaines le taux de remboursement de 90% à moins de 20% et faisant vaciller le système.

Cette loi est une véritable déclaration de guerre à la microfinance privée dont elle rend draconiennes les conditions de développement. Elle donnait deux mois à tous les organismes de microfinance pour s’enregistrer auprès d’un service spécialement créé et qui désormais allait donner le droit d’octroyer des microcrédits et de percevoir des remboursements. Le pouvoir a aussi été donné à ce nouveau service de retirer dès qu’il le juge nécessaire les autorisations d’exercer les activités liées aux microcrédits sur le territoire d’Andhra Pradesh.

                                            
Dans ce même Etat, Il est désormais interdit aux agents en charge perception des remboursements de visiter les emprunteurs et de collecter les fonds en dehors des bureaux choisis par les autorités. Ces remboursements jusqu’alors hebdomadaires sont désormais mensualisés. Tout second microcrédit vendu à un particulier qui en dispose déjà doit désormais avoir l’aval des agents de l’Etat. Les taux d’intérêts des microcrédits sont quant à eux plafonnés. Pour montrer le sérieux de son engagement quelques jours après l’entrée en vigueur de cette loi, l’Etat d’Andhra Pradesh a fait arrêter pour harcèlement des emprunteurs des employés de deux des plus grosses entreprises de microfinance opérant sur son territoire.

Les banques indiennes craignent un effet de contagion du type de mesures adoptées par l’Etat d’Andhra Pradesh à d’autres Etats qui seraient tentés de restreindre au point de les menacer les activités de la microfinance telle qu’elle se développe actuellement dans tout le pays. La banque centrale indienne a d’ailleurs émis en décembre 2010 une circulaire enjoignant les banques à continuer à prêter de l’argent aux organismes de la microfinance à travers des consortiums eut égard au rôle désormais joué par ces derniers dans l’économie indienne et notamment dans les zones rurales.


Une loi qui traduirait une méconnaissance de la réalité des métiers de la microfinance



Pour les acteurs de la microfinance, vouloir détruire le secteur privé reviendrait à vouloir instaurer un apartheid financier pour des centaines de millions de personnes qui se retrouveraient sans aucune autre solution de financement que celle proposée par l’Etat. Avec un taux d’intérêt annuel variant de 28 à 32%, ils estiment être parmi les moins chers au monde et aussi parmi les plus efficaces au regard des coûts de fonctionnement. Ils soulignent les efforts déjà consentis pour maintenir des tarifs bas et  rappellent aussi le poids du secteur dans la croissance de l’économie indienne.

Pour ces professionnels de la microfinance le public ignore les taux d’intérêts pouvant atteindre 36% qui leur sont appliqués par les banques lorsqu’à leur tour ils empruntent de l’argent à ces dernières. Pour attirer toujours plus d’investisseurs dans ce marché constitué de pauvres, les entreprises de la microfinance se doivent de garantir des rentabilités très fortes qui ne sont possibles que par les taux d’intérêts élevés des services proposés et des taux de remboursement qui doivent être maintenus très haut également. De plus la taille imposante de certaines entreprises leur  permet d’obtenir auprès des banques des prêts à des taux intéressants qu’elles répercutent dans les offres faites à leurs clients.

La tendance à vouloir réguler la microfinance semble mal acceptée par ses acteurs qui s’étonnent par ailleurs des comparaisons hâtives selon eux, faites avec la crise financière mondiale alors que la microfinance ne compte que pour 1% du secteur bancaire indien, ce qui de fait réduit la portée d’une crise systémique liée à des éventuels défauts de paiement des emprunteurs. Il est selon eux exagéré de parler de bulle spéculative à propos de la microfinance alors que ce secteur présente dans chaque pays où il est présent des caractéristiques propres à ce pays. L’Inde quoique leader dans la microfinance n’a pas la position stratégique occupée par les Etats-Unis dans la finance mondiale. Si par malheur la microfinance indienne venait à connaître une crise majeure, en l’absence d’un réseau mondial de la microfinance le scénario de réactions en cascade qui impliqueraient des interventions étatiques est peu probable.


L’autorégulation pour dissuader les Etats de légiférer


La microfinance a désormais à cœur de montrer qu’elle a entamé son introspection et qu’elle n’a pas tardé à en tirer les conséquences sur la façon dont elle doit désormais traiter sa clientèle. Cette autorégulation érige en principe la protection des consommateurs à travers une charte que les entreprises sont invitées à signer. Parallèlement à cela des initiatives pour une éducation financière de cette clientèle ont été également prises. Un guide destiné aux agents des compagnies de microcrédits et à leurs clients a été créé avec le double objectif de former et d’informer toutes les parties prenantes du secteur de la microfinance.

Pour crédibiliser encore plus son discours sur sa prise de conscience de ses propres défaillances, les professionnels de la microfinance ont mis en place le concept de Microfinance Intelligente. Concrètement, la Microfinance Intelligente entend être parfaitement transparente au niveau des tarifs, des termes et des conditions de ventes des services proposés. Elle se veut plus regardante sur la solvabilité des emprunteurs et s’engage à ne pas fournir aux clients des services dont ils n’auraient pas besoin. Elle prône une éthique irréprochable dans ses pratiques de collectes des remboursements de sa clientèle, tout comme elle se doit d’être désormais à l’écoute des plaintes de ses clients pour les servir plus efficacement. Elle assure la confidentialité des données des clients tout comme elle assure la protection de tous les acteurs de ce secteur de l’économie.



Une régulation pourtant indispensable


                                               

Ce n’est cependant pas la première fois qu’un tel code d’exemplarité est mis en avant par la microfinance indienne. En 2009 les 44 plus grandes entreprises du secteur avaient formé le Réseau des Instituts de la Microfinance en se donnant déjà pour but de s’autoréguler. Les mesures draconiennes prises fin 2010 par le gouvernement d’Andhra Pradesh montrent que ces entreprises, aussi louables que puissent être leurs ambitions autorégulatrices pourront difficilement se passer de la loi pour se sentir obligées de tenir leurs engagements en l’absence de mécanisme de sanction des contrevenants.

Même si la féroce compétition que se livrent les secteurs privés et publics biaise les réformes provenant d’une classe politique partiale, la microfinance dans sa globalité gagnerait à ce que des mesures de régulation soient prises pour sa pérennité et le bien être de sa clientèle particulièrement fragile. Ses demandes pour élargir son champ de compétence comme par exemple le droit de recevoir des épargnes comme les banques pourraient être satisfaites. Elle bénéficierait d’une bien meilleure couverture médiatique en faisant preuve de transparence dans ses tarifs et dans ses pratiques de recouvrement des remboursements des microcrédits.

Certains analystes plaident pour la mise en place d’un organisme en charge de la supervision des activités de microcrédits, du suivi des plaintes des consommateurs et de l’évaluation des entreprises du secteur sur des critères autres que la rentabilité. Les performances financières de ces compagnies pourraient être mises en rapport avec leurs capacités à réellement sortir leurs clients de la pauvreté. Si toutes ces intentions se traduisent dans les faits, alors la crise de la microfinance indienne pourrait s’avérer salutaire pour la profession et servir d’exemple à d’autres pays.


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