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jeudi 21 avril 2011

L’illusion de la quête de la vérité en ces temps de guerres


Comme le démontre le traitement médiatique des guerres civiles en Libye et en Côte d’Ivoire envisager connaître la vérité sur la réalité d’un conflit est une entreprise à l’échec presque certain.
 
Petits arrangements ordinaires avec la vérité

Dans son journal de 20h du lundi 18 avril 2011(minute 13 :00) la présentatrice vedette de TF1 Laurence Ferrrari affirmait au détour du lancement d’un sujet sur le conflit en Libye que l’aviation du colonel Kadhafi bombardait les populations civiles à Misrata, la troisième ville la plus peuplée du pays où les insurgés affrontent les forces loyalistes depuis de longues semaines déjà. Pour peu qu’on rapproche ces informations aux déclarations de l’OTAN sur les pertes infligées à l’armée du dictateur, on trouverait aux affirmations de la dame Ferrari des allures de mensonge éhonté. Car même en accueillant avec une extrême méfiance les propos de l’OTAN il s’avère peu probable à cette période de l’intervention occidentale en Libye que les avions de Kadhafi puissent continuer de survoler impunément le ciel libyen pour massacrer les populations civiles.

Ce n’est hélas qu’une approximation de plus discréditant toujours plus les médias de référence en ces temps où la guerre civile en Côte d’Ivoire et celle encore en vigueur en Libye offre un spectacle décourageant pour quiconque désire comprendre les tenants et aboutissants de ces conflits en tirant profit de la pluralité des informations disponibles à ce sujet. La quête de la vérité s’apparente même à un chemin semé d’embûches, de leurres où ceux-là même qui sont tenus d’informer le public en portant à sa connaissance les éléments permettant de comprendre une situation complexe, ne font que se livrer à de petits arrangements avec la vérité au gré des intérêts du pouvoir.

Des procédés éculés d’une redoutable efficacité

Face à ce qui peut être considéré comme de grossières opérations de manipulation de l’opinion publique, il n’est toutefois pas permis de crier à l’imposture car ces méthodes, pratiquement les mêmes à l’occasion de chaque conflit armé où le pouvoir est engagé comme c’est le cas pour la France en Libye et en Côte d’Ivoire, sont si bien connues et constamment dénoncées qu’il est étonnant qu’elles soient toujours d’une effroyable efficacité.

De ces manipulations-là l’opinion publique semble même en être friande car la vérité dénaturée, simplifiée à l’extrême et présentée au peuple comme une série d’évidences lui paraît toujours préférable sous cette forme car elle flatte son intelligence. La profusion de nouvelles technologies et donc de sources variées au service de l’information n’aide en rien à diminuer la crédulité des citoyens au contraire, plus grossière sera une manipulation d’un media dominant plus elle s’avèrera redoutable à un point qu’il semble vain et illusoire de s’entêter à vouloir connaître la vérité en temps de guerre. Le citoyen n’a donc d’autre choix que de se résigner et de contempler la machine implacable faire inexorablement son œuvre.

Le scénario de l’imminence d’un effroyable péril

Tel est le scénario livré aux citoyens crédules que nous sommes chaque fois que le pouvoir veut faire avaliser une décision qu’il sait contraire au droit et aux valeurs qu’hypocritement il prétend incarner. Le déclenchement de la campagne de bombardements de la Libye sous l’impulsion du président Sarkozy et celui toujours obscur de la résidence de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire ou encore l’envoi officiel de commandos en appui des insurgés libyens sont autant de versions de ce scénario maintes fois répété, prévisible mais imparable.

Au moment où les forces armées françaises bombardèrent les premières l’armée libyenne pour selon les autorités se conformer à la résolution 1973 de l’ONU adoptée précipitamment la veille et enjoignant les puissances occidentales à protéger par tous les moyens nécessaires les populations civiles, un remarquable travail consistant à présenter comme une évidence l’imminence d’un terrible massacre des populations de Benghazi avait déjà préparé l’opinion publique à accepter cette entrée en guerre de la France. Le travail avait été si bien fait que nombreux sont ceux qui y ont même trouvé le motif de fierté d’une grandeur retrouvée de la patrie des droits de l’homme sous la houlette de son dirigeant à la côte de popularité chancelante.

La dramatique situation en Côte d’Ivoire fut de nouveau l’occasion pour la classe politico-médiatique de montrer à quel point elle excellait dans cet exercice particulier consistant à convaincre de l’imminence du péril. Laurent Gbagbo que les mêmes médias présentaient comme acculé dans son bunker avec une poignée d’irréductibles au point que la presse quotidienne française c’était même hasardé à annoncer sa chute, est du jour au lendemain passé de la reddition certaine à une offensive impitoyable.

L’on annonça alors l’avancée inexorable de ses troupes aidées d’une artillerie lourde dont étaient dépourvues les forces pro-Ouattara. On titra sur les premières frappes de l’hôtel du golf, siège du président reconnu par la communauté internationale et de son gouvernement malgré la protection de l’ONUCI dont bénéficiaient ces derniers. Depuis son bunker donc, le stratège Gbagbo conduisait ses troupes vers son ennemi dont la débâcle était devenue inéluctable. Devant l’imminence de ce péril-là aussi une résolution de l’ONU précipitamment adoptée fit encore l’affaire et justifia le bombardement de la résidence de Gbagbo par les forces armées françaises. L’opinion publique fut soulagée d’apprendre que les populations civiles étaient enfin protégées grâce à la courageuse décision de ses autorités et contrairement à ce que pouvaient laisser entendre les évènements de Doukoué.

Mirasta n’y échappe pas non plus

Le citoyen crédule a beau identifier ces enchaînements soudains d’informations inquiétantes annonçant l’imminence d’un péril, il a beau savoir qu’il vit dans un système politique où le pouvoir lui appartient en théorie, c’est quotidiennement qu’il constate qu’il n’a aucune prise sur les décisions prises par le pouvoir en son nom. Il sait d’ailleurs que les intérêts liant le pouvoir aux medias sont tels que l’information qui lui est livrée en temps de guerre n’est là que pour le préparer à accepter des décisions radicales du pouvoir. S’il n’est pas d’accord, qu’importe, un bon sondage achèvera de le convaincre du caractère marginal de ses convictions.

C’est cette implacable logique que semblent suivre les autorités lorsqu’elles décident de l’envoi des groupes d’officiers de liaison pour « conseiller » les insurgés libyens en apparente violation de la résolution de l’ONU devenue insuffisante pour renverser le dictateur. Là encore cette décision a été précédée d’un minutieux travail de préparation de l’opinion publique par les médias de référence. L’agonie soudaine et devenue insupportable de Misrata focalisa toute l’attention médiatique. Il y a pourtant longtemps que la population de cette ville résiste courageusement aux assauts des forces loyalistes et ses martyrs montrant même ce qui se serait probablement passé à Benghazi. Il est certes juste de s’indigner des morts toujours inutiles d’une guerre mais la dramatisation excessive à laquelle se livraient les médias n’avait non pas pour but de montrer à quel point la paix est toujours préférable à la guerre et ses atrocités, mais de justifier l’enlisement du conflit et de préparer l’opinion à accepter la nouvelle stratégie du pouvoir : l’envoi de troupes. Face à ce déluge d’informations contradictoires, parvenir en ces temps de guerre à distinguer dans les medias ce qui relève de la propagande de ce qui relève de l’information véritable dans l’optique de connaître la vérité s’avère être une douce utopie. 

L’inéluctable rôle d’agent de la propagande

Dans les récits faits de ces conflits, il n’est pas surprenant que le terme propagande soit régulièrement employé par les journalistes et exclusivement réservé aux adversaires du pouvoir dont ils discréditent les informations. Il est à regretter cependant que l’habileté que ces professionnels de l’information mettent à démanteler la rhétorique des adversaires du pouvoir et à susciter l’extrême méfiance de l’opinion à leur égard disparaisse soudainement lorsqu’il s’agit d’étayer les thèses du pouvoir afin qu’elles gagnent l’adhésion de l’opinion. Les medias font par ce biais la preuve qu’il leur est extrêmement difficile de jouer un rôle autre que celui d’agent-double de la propagande : celle qu’ils dénoncent chez les adversaires du pouvoir et celle issue du pouvoir qu’ils promeuvent allégrement sans jamais la mentionner.

Dans le cas de la guerre en Libye par exemple, la capacité à mettre en doute les marqueurs temporels des vidéos de Kadhafi, la véracité des images que diffuse le pouvoir libyen tout comme la remise en cause systématique de la réalité des chiffres annoncés sur le nombre de victimes des bombardements alliés contraste avec l’absence de réserve concernant les informations diffusées fournies par les rebelles, par l’OTAN ou les autorités françaises. Tout ce travail bien que partial serait à saluer si au même moment ces mêmes medias ne s’évertuaient pas à entretenir constamment l’impression qu’ils sont au détriment de l’opinion publique une pièce essentielle de la stratégie de communication du pouvoir et ses alliés dans la guerre de l’information qu’il livre à ses adversaires.

Le journaliste, un allié peu fiable dans la quête de la vérité

Il est pour cette raison inconcevable d’attendre des journalistes une quelconque équité dans le traitement des informations concernant les protagonistes de ces conflits et attendre d’eux qu’ils confrontent systématiquement les différentes versions d’un fait majeur est illusoire. Il faut reconnaître que ces exigences sont beaucoup trop élevées pour une profession qui doit livrer « l’information qui convient » à l’opinion tout en ménageant ses sources de financement dont le pouvoir. Il est toutefois navrant de voir que les journalistes prennent systématiquement le parti du discrédit méticuleux de leur profession en se livrant à ces acrobaties qui consistent à taire les manipulations de l’opinion par le pouvoir et à rendre extrêmement floue la frontière entre ce qui relève de l’analyse d’une problématique et ce qui n’est qu’une vulgaire propagande au service des puissants.

Accepter de s’informer auprès des medias de référence revient à se livrer à l’acquisition de kits de « prêt à penser » à l’usage de tous ceux qui veulent s’exonérer de toute réflexion critique. Des kits tout aussi indispensables à celui qui prétend vouloir connaître la vérité sur les tragiques évènements dont le monde entier est témoin. Dans cette quête de la vérité le journaliste est un allié d’autant peu fiable qu’il aime à être parfois « embarqué », sur le champ de bataille avec l’un des belligérants, dans les coulisses du pouvoir pour y recueillir les meilleures confidences et autres indiscrétions qui donnent de la crédibilité à son propos.

La multiplication ces dernières années des sources d’information aurait pu paraître comme un gage de succès dans la recherche de la vérité. Malheureusement le rôle joué par les chaînes d’information en continue et les agrégateurs des sites d’actualité, loin d’offrir une réelle diversité des sources et des points de vue, agissent de manière encore plus pernicieuse en amplifiant les messages des medias de référence alimentés eux par les agences de presse officielles. Il s’en trouve que le message est martelé à l’infini jusqu’à satiété et jusqu’à ce qu’il soit nécessaire au citoyen de fournir des efforts considérables pour douter d’une information unanimement présentée comme une vérité. Ces médias créent ainsi l’illusion d’une pluralité d’opinions concordantes qui égarent plus que n’informent.

L’interprétabilité des résolutions onusiennes rend la vérité tout aussi confuse

Il y a pourtant dans les médias une présence massive d’intellectuels et d’experts censés avoir analysé et digéré la complexité des problèmes sous-jacents aux conflits pour livrer aux opinions des avis éclairés lui permettant de comprendre la situation, de s’approcher de la vérité et de se forger des convictions. Cette présence est d’autant plus nécessaire que lorsqu’une situation échappe à l’entendement le besoin d’arguments qui font autorité se fait sentir et en cela l’intellectuel, l’expert est un allié du journaliste. Or on constate que ces experts mettent un point d’honneur à ne rien dire qui aille à l’encontre de la politique éditoriale du media qui régulièrement leur offrent des tribunes pour s’exprimer et à atteindre les masses. Lorsque la manipulation devient trop évidente l’expert se borne à sanctifier ce qui peut être assimilé à un prêche journalistique au lieu d’apporter la contradiction.

En Libye comme en Côte d’Ivoire la vérité devra un jour parvenir aux peuples sous des formes assez intelligibles pour rendre possible la réconciliation. Une institution entièrement vouée au maintien de la paix entre les peuples aurait pu être l’allié le plus fiable pour faciliter ces réconciliations. Or le rôle joué par l’ONU dans ces conflits notamment ses accommodements avec les diktats des puissances occidentales sont tels qu’elle ne peut plus y paraître comme un juge impartial. Au contraire l’ONU semble même parfois haïr son rôle de garant de la paix dans le monde pour lui préférer celui d’instrument de la domination des puissances occidentales sur le reste du monde. Les termes des résolutions qu’elle émet sont systématiquement si obscurs qu’elles se conforment à toutes les interprétations que peuvent en faire les chancelleries occidentales. Cette mascarade ne sert ni la paix, ni la vérité et encore moins la confiance que les peuples doivent avoir en cette vénérable institution.

Le désir de savoir, de comprendre en s’informant ne pouvant être refréné, vouloir connaître la vérité sur la réalité d’un conflit armé est une entreprise comparable à la reconstitution d’un puzzle dont on est sûr de ne disposer que d’un minimum de pièces. La quête de la vérité n’est alors que l’art de s’accommoder des mensonges provenant des différents acteurs des conflits.

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